Entre les lignes, derrière les planches: Fool night et la narration florale PT.1

En 2015, Kasumi Yasuda publie un premier manga à la narration expérimentale du nom de “Aneremento” (“un malentendu”) dans le magazine de prépublication Weekly Big Comic Spirit. Ce dernier lui vaudra le prix du 76e  Shogakukan Rookie of the Year Comic Award. À la suite de ce manga, il réalise en 2018 un court thriller du nom de “Denpa Seinen” (“jeunesse radio”) . Tous deux inédits en France, les premiers essais de Kasumi Yasuda démontrent la capacité de l’auteur à composer ses cases et à construire sa narration. 

Denpa Seinen de Kasumi Yasuda

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

Fool Night arrive en France aux éditions Glénat, deux ans après les débuts de sa prépublication dans le Big Comic Superior au Japon en 2020. Kasumi Yasuda ressent un besoin de dépeindre une réalité de plus en plus pesante, celle d’une partie de la population dans une société oppressante. En ce sens, Fool Night se déroule dans un futur lointain où notre monde est recouvert d’un nuage noir bloquant les rayons du soleil. L’oxygène en est raréfié et taxé par les états, dû à la disparition massive de la végétation. En contrepartie d’une indemnité colossale, la population a la possibilité de transformer son corps en plante pour fournir l’oxygène nécessaire à la survie de l’humanité. Seuls les individus en fin de vie ou proches d’une mort inévitable ont la possibilité d’entamer ce qu’on appelle la “transfloraison”.  C’est une opération qui consiste à faire muter un être humain en plante, où seule sa conscience persiste à la fin de la transformation.  Le résultat de ce processus crée des êtres qu’on appelle des “Sanctiflores », qui ne laissent derrière eux que des bribes de mots insondables pour l’oreille humaine. 

Dans cette société, la vie humaine ne peut être gâchée et la mutation illustre une forme de richesse qui ne peut être perdue par les États. Par conséquent, pour assurer le bien du plus grand nombre, les Sanctiflores deviennent des ressources appartenant à l’État. Dans ce contexte social, on suit le quotidien de Toshiro, un jeune adulte enchainant les petits boulots pour assurer sa survie et la santé de sa mère atteinte de démence. Toshiro est noyé par les différentes taxes imposées par l’État et les dépenses qu’il doit gérer seul. Il décide de mener une transfloraison, car il ne supporte plus le poids injuste que lui fait porter la société. Grâce aux premiers effets de la transformation. Il découvre avoir la capacité de comprendre les propos des Sanctiflores et de saisir les émotions d’autrui par leur présence.

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

La transformation en sanctiflore illustre la nécessité de combler un vide et par une volonté de renoncer à leur identité et leur intégrité : ils sacrifient leur existence à des fins considérées comme étant utiles pour la société, mais cette fausse opportunité n’est que le résultat d’une forme d’aliénation totale. Afin d’éviter de sombrer dans un désespoir abyssal, la transfloraison devient la seule issue pour s’en préserver. Dans cette première partie d’analyse consacrée à Fool Night, nous allons plonger dans le travail de narration visuel de Kasumi Yasuda. En nous intéressant dans un premier temps aux couvertures de son manga et sur ce qu’elles évoquent pour le lecteur. Ensuite, nous allons approfondir l’immersion en regardant en détail la manière dont Kasumi Yasuda élabore la composition de ses cases en prenant des exemples de planches de Fool Night.  Dans la critique sociale que mène l’auteur au sein de son œuvre, il fait preuve d’une narration singulière. Elle nous guide et nous dévoile un auteur à la sensibilité profonde sur l’état de notre monde.

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

La composition florale au service d’un portrait social

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

Les couvertures réalisées par Kasumi Yasuda sont composées de quatre lignes verticales et d’une ligne horizontale. Ces lignes découpent la couverture en trois parties distinctes : le titre, le portrait d’un personnage et un cœur enraciné par une fleur (des fleurs d’Alstroemeria pour le premier tome, des fleurs de Zinnias pour le second et des fleurs de Canna pour le troisième). Ainsi la structure de ces 3 parties crée un dialogue entre le portrait du personnage et le cœur apposé sur le sol.

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

En effet, grâce à la ligne horizontale formée par le cœur qui représente l’essence de cette composition, un échange se crée entre les deux parties. Dans le cadre du tome 1, le cœur est situé en bas de l’image, comme si les racines étaient plantées en profondeur. On distingue des fleurs d’Alstroemeria, dont les tiges et le feuillage d’un vert bleuté s’élancent vers le fond de l’illustration, tout le long de cette ligne horizontale. Au bout de ces tiges, on retrouve des pétales d’un orange tigré dont certaines recouvrent les lèvres de Toshiro.

En langage des fleurs japonais l’Alstroemeria  (アルストロメリア) signifie 未来への憧れ/ Mirai he no akogare “la persistance” ou encore“ l’envie d’avenir” [ 1]  Il est intéressant de s’intéresser à la signification des fleurs, surtout quand on découvre la manière dont l’auteur conçoit ses personnages. Kasumi Yasuda précise au cours d’une interview réalisée par “00:00 Studio”  [ 2] (un espace de coworking pour artistes et créateurs japonais), l’auteur expliquait concevoir ses personnages sur la base d’une atmosphère que qu’il  tentait de saisir, souvent à la suite d’un film qu’il a visionné. La fleur d’Alstroemeria fait écho au portrait de Toshiro et son obstination à vouloir briser ce quotidien. Ne disposant pas des ingrédients utiles à l’émancipation que la société lui fait miroiter, il est ramené de manière constante à l’absurdité de sa condition. Le pot de fleur de l’Alstroemeria est représenté par le cœur de Toshiro, cloué à même le sol.

À la différence du tome 1, Kasumi Yasuda choisit des fleurs de Zinnias pour la couverture du second tome et lève le portrait de Yomiko, l’amie d’enfance de Toshiro. En gardant une composition similaire, Kasumi Yasuda dresse un tableau plus rayonnant du personnage. Les fleurs de Zinnias ont besoin d’un sol riche et d’un abri. Le pot de Yomiko semble être en meilleure santé que celui de Toshiro. C’est pour cette raison que les cadres du portrait du personnage sont placés en intérieur. Son portrait évoque sa vision d’une richesse intérieure, de disposer d’un travail convenable et d’un revenu capable de couvrir cette peur constante de sombrer. Après tout, il leur est martelé depuis leur enfance qu’échouer à atteindre un tel avenir est synonyme d’une mort certaine.

Les couvertures de Fool night: les procédés narratifs annonciateurs des thématiques de l’œuvre social

Dans la bande dessinée, les informations passent principalement par la narration visuelle. Pour cela, Kasumi Yasuda utilise ces codes en offrant une place prédominante à la végétation, comme si l’auteur construisait son propre langage floral et végétal. Des tiges aux pétales en passant par les racines et les feuillages, le récit passe par les possibilités qu’offre la végétation. Elle joue un rôle de marqueur social, elle relie deux individus comme elle peut les opposer. Leur mutisme naturel est parfois plus évocateur que les dialogues qui nous sont représentés. Par conséquent, les deux dernières parties des couvertures sont reliées grâce à la disposition des tiges des fleurs. Ainsi, l’effet créé auprès du lecteur génère un mélange de fascination pour ces portraits et une forme de curiosité malsaine par la présence des fleurs dans ces cœurs. Elles avertissent de manière inconsciente le lecteur sur le contenu de l’œuvre, grâce à ce contraste entre le portrait figé du personnage et son cœur en pleine mutation. À travers ses couvertures qui résument l’esprit de sa série, l’auteur prévient le lecteur de ne pas détourner les yeux de ce malaise social. Elles préviennent le lecteur sur les thématiques centrales de l’œuvre.

Comment attirer le lecteur sur ces sujets sociétaux à la fois si important et essentiel ? L’auteur précisa au sein d’un entretient auprès du Figaro que Fool night résonne avec son enfance. Il évoque les difficultés qu’il avait à partager ses problèmes auprès de son entourage. Pour retranscrire ce désir de pointer ces problématiques de sociétales chères à l’auteur.  La construction de son “langage florale” s’accroche tels des lierres grimpants, des lianes formant un cadre sur cette scène sociale dérangeante et criblant de vérité. Au fond de ce décor, le cri d’angoisse de Toshiro face au monde résonne d’un son déchirant.

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

Et ce dès les premières pages, à l’image de cette course poursuite où  Toshiro est poursuivi par sa mère atteinte de démence (cette dernière ne dispose plus de moyen pour assurer son traitement), il tombe et cette dernière le poignarde. Dans la page suivante, on voit une fleur vacillante dans son pot.  À cause de sa chute, elle croise le regard de Toshiro à la chevelure tombante sur le sol. Cette case fait écho à la couverture du manga, mais dans le sens inverse. Elle dispose, elle aussi, de quatre lignes verticales exposant différents éléments : le pot, la fleur et Toshiro à même le sol. La courbure de la tige de la fleur et de la direction de la tête de Toshiro crée une ligne horizontale reliant ces deux individus: une fleur au regard compatissant au sort de Toshiro, une fleur qui n’apportera nul jugement sur sa vie et enfin, une fleur comme seule alternative de fuite face à cette angoisse sociale.

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

“Je veux être transflorer ! Qui a parlé de crever ? Je n’en peux plus d’être obnubilé par l’argent. Je rêve de couler une vie aussi tranquille qu’une plante.”

Le rôle et la place des décors dans la narration et l’imaginaire de Fool night

Kasumi Yasuda ne cache pas son inspiration pour le travail de Shou Tojima, notamment son manga MPD psycho. Un manga réalisé avec le scénariste Eiji Ôtsuka. L’œuvre de ces deux auteurs plonge le lecteur dans un thriller horrifique et psychologique, dans lequel on suit les enquêtes de Kobayashi Yôsuke. Au cours d’une enquête où sa compagne est la victime, il la retrouve démembrée et maintenue en vie dans un colis livré  à son lieu de travail. L’enquêteur ne personnifiant plus que vengeance et colère, il se lance dans un traque effréné et tue de sang-froid le tueur en série. Cet acte va signer la bascule totale de Kobayashi, elle marque la naissance d’une nouvelle personnalité et de la chute l’ex-policier en prison. La froideur du monde de MPD Psycho, brille d’un éclat singulier grâce aux traits glaçants de Shou Tojima. Il épouse le souhait d’Eijii Ôtsuka de ne pas traiter la thématique de la mort uniquement par la forme d’un symbolisme abstrait, d’où la représentation des corps dans l’œuvre. Ainsi en se tourner vers Shou Tojima pour la représentation de cet enquêteur sombrant dans un univers macabre semble évident.

En effet, l’auteur révélait une nouvelle fois au sein de l’entretien réalisée par “00:00studio” son admiration pour l’aisance de Shou Tojima  pour dessiner des décors. Par ailleurs, l’auteur lisait MPD psycho durant ses études en école d’art et il souhaitait reproduire les mêmes types de décors. On ressent cette influence dans son encrage, surtout dans la gestion de ses aplats de noir qui accentue le malaise ambiant de leur univers respectif.  Kasumi Yasuda varie entre l’utilisation répétée de traits hachurés, en les couplant à l’utilisation d’aplats de noir. Si nous abordions en début d’article le silence évocateur des plantes et la signification que peut apporter leur présence, ces aplats jouent un rôle essentiel sur le symbolisme de la situation de Toshiro ne supportant plus le poids des difficultés qu’il accumule. Elle marque dès le départ le ton de l’univers qu’on s’apprête à arpenter, à l’instar de cette case où l’auteur présente la ville où vit Toshiro. 


Par la pose de la fenêtre en diagonale qui alourdit le dos de Toshiro,  elle met en avant l’attitude de ce dernier qui reflète  son désir de suivre une vie paisible pour fuir ce monde. L’aplat de noir s’écoulant sur la fenêtre génère un contraste entre la vie de Yomiko et Toshiro. En mettant en lumière cette posture pesante et pénible. Dont le rythme et la position des bulles viennent alourdir sa fatigue physique et mentale.  Il ne supporte plus le regard de la société et d’autrui qui lui a voulu de côtoyer la mort. Un regard absent devenant le seul rempart qu’il dispose pour préserver son intégrité. Une vue craignant, le jugement d’une amitié de longue date, dont la veste tremblante couvre un être fébrile pouvant être brisée à tout instant.  Le poids de cette responsabilité que l’on lui affuble traverse le corps de Toshiro par la diagonale de cette fenêtre. De plus cette même diagonale, elle vient exposer le vide éclairant Yumiko et le noir profond absorbant Toshiro, une rupture visuelle mettant la lumière sur le rapport de forces entre Yumiko et son esprit libre à cet instant précis du récit. Elle qui vit dans un monde où une telle charge mentale est impensable. Tandis que Toshiro est poussé vers le bas à cause dur noir accablant derrière son dos, cristallisant tous les problèmes qu’il accumule prenant un poids tel qu’il s’écroule face à ce dernier. 

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

Les décors et leur sens ont une place primordiale dans l’imagerie de l’œuvre de Kasumi Yasuda, la symbolique qu’il y place prennent une nouvelle dimension par leur présence.

Ainsi, lorsqu’on s’attarde une nouvelle fois sur les décors de ces deux planches, on distingue que l’attention portée sur leur conception de  Kasumi Yasuda s’imprègne de ceux de Shou Tojima. La végétation et son emplacement dans le cadre attirent notre regard sur les éléments essentiels des cases. On observe les personnages dans le nouvel environnement qui leur est présenté. Dans la première, Toshiro rejoint l’office de transfloraison après son opération tandis que Kobayashi Yôsuke rejoint l’agence criminelle Isono à la suite de sa détention en prison.

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN
© Eiji Otsuka Office, Sho-U Tajima / Kadokawa Shoten Publishing Co.

La végétation garante de l’identité et de l’esprit : des enquêtes psychédéliques de Shou Tojima à la transfloraison de Kasumi Yasuda


Dans Fool Night, la population en pleine asphyxie n’a comme seule option que d’opter par une mutation irréversible en plante, où seule leur conscience subsiste. Dans le cas MPD psycho, on accompagne un enquêteur schizophrène qui poursuit un tueur en série dont le mode opératoire est d’insérer dans le cerveau de ses victimes des plantes. À l’instar de Fool Night, seule leur conscience reste intacte à la suite de cet atroce processus. Kasumi Yasuda évoque l’importance des sentiments, de l’identité et de l’esprit par le symbolisme du cœur qui est le terreau et les plantes. Il en est de même pour Shou Tojima et Eiji Otsuka  où le cerveau à une place centrale sur ses couvertures.

© Eiji Otsuka Office, Sho-U Tajima / Kadokawa Shoten Publishing Co.

© Eiji Otsuka Office, Sho-U Tajima / Kadokawa Shoten Publishing Co.

MPD Psycho s’enracine parmi les inspirations essentielles de l’identité visuelle de Kasumi Yasuda. On l’observe par exemple au travers des couvertures de MPD psycho qui sont aussi composées de quatre lignes verticales créées par le titre de l’œuvre “MPD Psycho”, le sous-titre “le détective schizophrène”, le nom des auteurs et les caractères japonais . Une ligne horizontale est générée par la place du cerveau et de l’œil en son centre, ainsi que la racine qui traverse la couverture. L’effet généré par ces alignements attire notre regard sur le haut de la composition: le cerveau et l’œil sont les deux symboles centraux de l’œuvre. Cette composition vient tout comme celles de Kasumi Yasuda, a annoncé lecteur le ton du récit. Shou Tojima et Otsuka Eiji s’intéressent à la thématique de l’esprit, la place de l’identité et comment cette dernière nous caractérise en tant qu’être humain. Ils élargissent le spectre en s’intéressant à la psyché de ses personnages, notamment de son héros Kobayashi Yôsuke qui est sujet à des troubles psychotiques. En voyant dans l’univers déshabillant et glaciale du tandem Shou Tojima et Otsuka Eiji, celui de Kasumi Yasuda hérite de ses prédécesseurs dont ce dernier n’a rien à lui envier. Si la mort n’est pas seulement représenté de manière métaphorique dans le monde de l’auteur, Kasumi Yasuda va jouer volontairement avec notre imaginaire et par la représentation qu’occupent les plantes dans ce dernier pour troubler le lecteur.

Un cadre floral au service de symbolismes

Pour saisir comment l’auteur joue sur cette symbolique et celle de la plante, il est utile de plonger dans la terminologie du mot “sanctiflore” et de la “transfloraison”. Le mot sanctiflore paraît être composé des caractères reika 霊花 (ou reibana). Le kanji 霊 a un rapport avec l’esprit, l’âme, le défunt où on trouve aussi un sens spirituel. Quant à 花, il signifie fleur. “Sancti” parait provenir du mot “sanctifier”, dans le sens « rendre  saint” ou attribuer à quelque chose un caractère exceptionnel. La traduction fait écho à cette “richesse intérieure” tant recherchée par Toshiro, au caractère presque sacré qu’elle donne à la transfloraison et de ce que cette mutation offre en échange. Quant à la tranfloraison, elle est composée du caractère “tenka” signifiant transformer du caractère de la fleur.  Ces deux traductions viennent renforcer la sacralisation de cette mutation et son caractère d’enrichissement spirituel.

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

“oui, c’est bien parce que le kanji 霊 a un rapport avec l’esprit, l’âme, le défunt, que j’ai choisi le mot sanctiflore. Voici les notes que j’ai prises pendant le premier tome. En japonais : rei ka où rei = âme, esprit, fantôme et ka = fleur. Je voulais utiliser le mot « fleur » et avais donc besoin d’un préfixe d’origine latine. J’ai préféré éviter le champ lexical de la mort. Je m’imagine en effet qu’un candidat à la transfloraison préfèrera devenir une « sanctiflore » qu’une « mortiflore ». » –  Hana Kanehisa, traductrice de fool night

En japonais, le mot était TENKA, où TEN = changement KA = la fleur. J’ai aussi pensé à « phytomorphose » et « phytopsyché ». Mais on perdait le mot « fleur » utilisé en japonais.

Je me suis bien arraché les cheveux pour trouver des adaptations (et aussi pour traduire le langage floral). J’avais l’impression que ma tête se transformait, comme le héros.


“Je m’imagine en effet qu’un candidat à la transfloraison préfèrera devenir une « sanctiflore » qu’une « mortiflore ». »

Le choix porté sur la traduction est pertinent et vient d’autant plus appuyer la représentation de cette transformation que décrit la société dans Fool Night aux yeux de la population. Elle “préfère”  montrer cette transformation comme un affect positif dans le parcours de la vie d’un citoyen, pour l’éloigner du rapport à la mort qu’il peut arborer. En s’éloignant du lexique de la mort, la traduction sonne avec justesse avec ce contraste voulu par cette société et ce que les plantes représente dans notre imaginaire. Kasumi Yasuda amplifie le paradoxe entre ce que représentent les plantes, les fleurs et la végétation. Dans l’inconscient collectif, ces éléments sont associés à la vie, la vitalité, voire à une forme de renaissance. Par exemple, le printemps est souvent associé à une renaissance ou un nouveau départ, comme  une forme de renouvellement de la nature et de la vie. Par conséquent, les plantes définissent les premières étapes de la vie, les racines mêmes de cette dernière

Pourtant, à la lecture de Fool Night, il est délicat de ne pas éprouver ce sentiment de malaise naissant par ce contraste de silhouette et de forme entre les plantes et les êtres humains. En outre, les vêtements tombants comme des feuilles, de même que les visages parfois vides des personnages. L’humanité dont on a coupé tout intérêt et opportunité d’emprise sur leur vie se confond avec les plantes. De cette manière, la narration de Kasumi Yasuda est en totale symbiose avec les symbolismes de la plante qu’il met en place, mais aussi bien de ce qui s’en éloigne dans l’imaginaire collectif. Dans un but de déranger le lecteur d’ouvrir les yeux sur notre réalité.

FOOL NIGHT © 2021 Kasumi YASUDA / SHOGAKUKAN

Dans cette configuration, l’angoisse sociale est telle que depuis des siècles où ce couvercle sombre s’est apposé sur cette société, où les nuits n’ont ni début ni de fin. Une forme de paralysie sociale s’est imposée d’elle-même comme une saison éternelle. De ce fait, la “transfloraison” va dans la continuité logique de cette asphyxie sociale. Les personnages qui arborent le paysage de Fool Night semblent immobiles tel que des plantes posées sur le décor.

En remerciant Hana Kanehisa, traductrice de fool night pour avoir pris le temps de répondre à nos questions pour la conception de cet article.

 [1]  bloomnote, langage-of-flowers

 [ 2 ] 00:00 studio

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